L’ennui…

11 janvier 2020

Quelques-uns de mes bons amis m’ont dit :

- Oh, tu sais, moi une croisière sur une si longue durée, je n’en ai vraiment pas envie. J’aurai trop peur de m’ennuyer sur un si gros bateau !

Sans doute avaient-ils raison. Cependant je n’ai pas encore trouvé une réelle justification pour cette crainte. Je dois quand même reconnaitre que le principal ennui commence dès le matin. Avec encore quelques effluves de la nuit posée sur les paupières, voilà un léger « Toc-Toc » à la porte de la cabine. Je baille, me gratte la tête et ouvre la porte.

- Good morning sir, it is the breakfast!

- Yes, thank you, please, put it on the table.

Voilà que déjà le matin nous sommes contraints à l’ennui d’un petit déjeuner. Là, dans notre tristesse matinale, face à la mer, de consommer du café, du thé, des yaourts fait maison, des croissants, des toasts, des corn-flakes, du muesli, des jus de fruits. Nous avons décidé sagement de ne prendre qu’une petite partie de ce qui nous est proposé afin d’avoir une alimentation légère.

Ensuite, quel ennui de rester dans une pièce sans fenêtre où il fait très très chaud. Bon, le jacuzzi compense cela, car nous flottons dans un bain de bulles, le regard sur la mer. Quel ennui ! Après, nous essayons maladroitement de combler notre inactivité en allant prendre un cocktail avec qui amis qui s’ennuient tout comme nous. Cela nous permet la dégustation d’un repas léger prélude à la sieste où l’on s’ennuie en dormant. Pour dérouiller les gambettes, nous allons ensuite au thé dansant, où nous sommes obligés d’ingurgiter des petits gâteaux trempés dans du thé parfumé. Cela bien sûr nous permet de patienter avant le spectacle de fin de journée dans l’intimité d’une salle des fêtes de 800 places. Hier, récital d’un groupe de musiciens. Piano, violon, violon, alto, flute, violoncelle, ténor, baryton, soprano, soprano pour un concert de musiques napolitaines. Du beau monde, du beau talent, mais quel ennui de les écouter jouer des morceaux tels que : » Santa Lucia », « Funiculi-Funicula ». Après le spectacle, nous avons trois quarts d’heure d’ennui qui nous pousse à la dépression. Comme nous n’avons pas de Lexomil, nous prenons une wodka citron et un gin-tonic avec un couple d’amis qui habitent à côté de chez nous dans le sud. C’est une sorte de soin préventif, comme un vaccin.

Nous sommes très déçus parle repas du soir. Il ne faut quand même pas qu’ils croient qu’ils vont nous appâter avec une salade de fruits de mer et un carré d’agneau juste saignant. Même si cela est arrosé de chianti pour finir sur une touche de gorgonzola et un sorbet au citron. Quel ennui cette répétition quotidienne de gastronomie. Nous bavardons amicalement avec nos amis, mais cela fait éclater le couple. Fini les discussions pleines de tendresse que nous avions le soir :

- Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?

- Regarde dans le frigo, il n’y a pas grand ’chose !

- Tant pis, j’ai pas faim !

Alors, comme tous les petits vieux grisonnants qui ont envahi ce bateau, nous allons danser. Oh, des danses de notre âge ! Slow, tango, paso, valse, rumba, disco, jerk, rock. Car il faut bien que le temps se passe.

À toutes celles, à tous ceux qui ont peur de s’ennuyer en croisière, je leur transmettrai mes trucs de grand-père pour tromper le temps.

Au juste, notre commandant est un voyou. Non content de nous donner un emploi du temps déraisonnable pour des gamins de notre âge, il a décrété unilatéralement, sans consultation des syndicats, que certaines journées n’auraient que 23 heures.

C’est odieux, c’est un scandale !

Pierre en colère