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Nous re partons faire un tour
10 avril 2020

Tempête ataraxique

 

J’aime bien mes oxymores. Ils me rassurent. Ils me permettent de regarder les évènements dans leur ensemble. Picasso, dans la maitrise de son art, a peut-être voulu cela en posant sur une même toile différentes faces de la chose représentée. Jacques me dira certainement que je n’ai toujours pas compris l’art de Picasso. Ce bel hidalgo, dans son art, a connu une grande réussite, ce qui n’est pas mon cas. Quelle différence éloquente ! Alors, je reste modeste avec mes fantaisies scripturales.

Le quart d’heure d’information que nous écoutons chaque matin à la télévision, les bavardages de couloir, les annonces de sécurité maintes fois répétées par la sonorisation du navire nous oblige à ouvrir les yeux. Une tempête submerge le monde. Nos dirigeants, bons ouvriers, mettent en place des dispositions pour protéger la population de notre pays. Nous savons tous que l’efficacité des mesures prises sera lente, mais qu’elle aura un aboutissement. Globalement, nous sommes confiants, mais quand un proche est effleuré, nos yeux deviennent humides. Cette tempête gronde, ronfle, mais du siège sur lequel je suis assis, je ne l’entends pas. Je regarde par la fenêtre, au-dessus de la rambarde de mon balcon, je vois la mer. Hier, aujourd’hui, l’eau est si calme, sa surface si lisse, que les nuages s’en servent de miroir pour se coiffer. Annie lit, allongée à mes côtés. La température est douce, que peu de vent. Vous qui me lisez, tendez la main, attrapez votre dictionnaire, vérifiez que c’est bien cela l’ataraxie.

Vous le savez déjà, nous sommes sur la route du retour. Nous n’aurons qu’une dizaine de jours d’avance sur notre programme initial. Paradoxe, qu’une tempête donne de l’avance ! Pour vous qui aimez la précision, prenez votre carte du monde et cherchez. (cerca trova comme disait Dante Alighieri) Nous avons quitté l’océan indien et nous naviguons dans la mer d’Arabie. Ce soir, nous entrons dans le golfe d’Aden, bientôt nous serons dans la mer rouge. L’évocation de cette région réveille en vous des bribes de mémoire ? Oui, sans doute vous souvenez-vous avoir entendu parler de piraterie maritime. Des méchants qui attaquent des gentils sur leurs bateaux. Cette information semble toujours prégnante aujourd’hui. Hier au soir, une fiche d’information nous a été remise pour nous préciser les consignes pour le passage de cette zone. Suppression de certains éclairages, présence militaire alentour, comportement en cas d’attaque, et oui tout est prévu ! J’ai lu et relu toutes les consignes, toute la journée j’ai scruté l’horizon. Déçu, pas un pirate en vue, même pas un petit, même pas un en plastique. Rien. Au prix où sont les billets, l’armateur pourrait bien nous fournir quelques pirates ! Reste encore cette nuit et demain, tout n’est pas perdu.

Nous parlons beaucoup de la tempête qui sévit dans nos villages. Encore douze jours et nous aurons les pieds sur le quai de la Joliette, nous aurons rejoint la tempête. Cet après-midi, nous avons parlé de nos projets de retour avec des amis. Pendant ce bavardage, nous avons grignoté quelques biscuits en prenant notre thé. Nous avons juste suspendu notre conversation un instant, le temps d’un tango et d’une valse. Ce soir, nous avons un grand concert classique. Avec Annie, nous nous sommes faufilés dans les coulisses lors de la répétition générale. Ce sera merveilleux. Ensuite, après avoir pris notre cocktail quotidien, nous irons au restaurant. Là, en attendant que le serveur nous passe les plats, nous reprendrons notre conversation sur la tempête qui règne dans nos villages.

La vie est un tourbillon. Nous avions la chance de faire un merveilleux voyage. Aujourd’hui, nous avons la chance d’être dans une agréable sécurité. Nous avons des difficultés pour planifier la vie de demain, nous vivons celle d’aujourd’hui. Ainsi, nos prévisions restent vagues, nous attendons le début de la semaine prochaine pour analyser la proposition de MSC pour nous reconduire à la maison. Si celle-ci nous convient, nous la prendrons en compte. Sinon, nous nous organiserons par nous-mêmes pour rejoindre notre appartement de Tamaris et attendre là, dans notre quiétude du Sud, que la tempête s’apaise. Alors, avec notre vieille Twingo, nous pourrons retourner voir notre jardin.

De tempête en embellie, notre vie se poursuit. Nous gardons les yeux, les oreilles et le cœur grands ouverts pour ceux qui nous entourent. Égoïstement, comme chacun, nous essayons de nous protéger. Nous pensons fort à ceux qui ont moins de chance que nous, à ceux pour qui le virus a frôlé de front. Nous pensons à toi Virginie, tu es dans nos pensées, souvent. Nous pensons aussi à toi ami Michel de Chassieu. Tu es fort, tu gagneras.

Nous n’avons que la certitude de nos doutes et nous doutons de nos certitudes. Ces certitudes qui s’effritent et se réorganisent sur la rugosité de ces moments de vie.

Bientôt, nous serons les mêmes, différents.

 

 

© Pierre Delphin – écrit le jeudi 9 avril 2020 à 18h00

 

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Guernica

 

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  • Quelques mots, quelques photos, quelques confidences pour partager avec notre famille, nos amis, nos bonheurs et nos découvertes lors de ce merveilleux voyage qui partira le 6 janvier de Marseille et qui se terminera dans le même port le 4 mai 2023.
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